Coïncidant avec le retour d’Art Basel au Grand Palais, l’exposition ‘Anima’ par Rashid Johnson, considéré comme l’un des artistes les plus emblématiques de sa génération présentera ses nouvelles œuvres. Mêlant peinture, sculpture et film, il poursuit ses recherches autour des notions d’intériorité et d’introspection.
L’exposition continue d’étoffer son lexique visuel distinctif tout en approfondissant son intérêt pour l’animisme, la croyance selon laquelle toute chose, y compris les objets inanimés, sont dotées d’une âme. Deux nouveaux corpus de peintures étroitement liés, intitulés « Soul Paintings » et « God Paintings », réalisés au cours des dernières années, font ici leur début en galerie. Ces toiles sont accompagnées de deux récentes séries de sculptures en bronze, dont les surfaces grossièrement modelées portent la trace tangible de la main de l’artiste, une méthode caractéristique de sa pratique sculpturale récente. Également exposé, « Sanguine », son dernier film, s’intéresse aux relations d’attention et de care entre trois générations de sa famille : son père, lui-même et son fils. Sanguine peut être compris comme une perspective, souvent interprétée par l'espoir et l'optimisme, ou une couleur, le rouge sang ; les deux définitions s'appliquent au film « Sanguine » (2024) de Rashid Johnson.
Le caractère sanguin est évident dans les nombreux moments où les personnages sont plongés dans une profonde réflexion intérieure. Le public n' a pas connaissance de leur dialogue intérieur, mais il peut en observer l'expression extérieure. La couleur sanguine a pris une place importante pour Johnson il y a des années, au moment de sa rencontre avec un pouvoir supérieur, décidant que le rouge qu'il voyait lorsqu'il fermait les yeux serait son substitut pour « dieu ». Dans le film, le divin et l'anima en toutes choses sont des thèmes prédominants. La forme de la vesica piscis, présentée sur une toile de fond rouge sang, est récurrente tout au long du film. Représentant l'espace entre deux cercles concentriques, cette forme est une représentation formelle de la liminalité pour Johnson. À bien des égards, « Sanguine » est une exploration cinématographique de l'espace liminal.
À travers le concept de l’animisme, l’artiste se connecte à une réalité transcendant le monde physique, offrant une vision expansive de l’univers dans laquelle tous les objets, et par là même les peintures et les sculptures exposées, sont animés d’une vie spirituelle. Le titre de l’exposition, « Anima », reflète les interrogations persistantes de Johnson autour de l’espace liminaire entre le corps et l’âme. Parmi ses réflexions intérieures, l’artiste fait référence à « The Sovereignty of Quiet de Kevin Quashie », un livre qui considère le calme et la quiétude [quiet] comme une forme d’expression alternative, qui caractérise les désirs, ambitions, appétits, vulnérabilités et peurs d’une personne. Comme il l’explique, « je songeais à cette idée de chaleur, de vulnérabilité et sur la manière dont on entame le processus de représentation de l’âme ».
« L’intériorité a toujours été au coeur de ma démarche... Un sens de l’introspection, de l’intimité qu’il m’est nécessaire d’explorer. »—Rashid Johnson
Au fil de l’exposition, Johnson revisite l’une des formes emblématiques de son langage visuel : l’évocatrice « vesica piscis » en forme d’amande, un leitmotiv présent dans la culture visuelle mondiale depuis les premiers temps de l’humanité. Employée horizontalement dans les « Soul Paintings », cette forme abstraite assume une dimension à la fois représentative et organique, évoquant des formes crâniennes semblables à des masques, des yeux ou encore des pectoraux squelettiques. Figurant l’intersection de deux cercles qui se chevauchent, ce motif exprime pour Johnson la notion de liminalité, cette reconnaissance de ce que nous ressentons sans pouvoir pleinement l’expliquer.
Dans les très personnelles « God Paintings », la « vesica piscis », gravée verticalement dans l’épaisse couche de peinture à l’huile rouge à l’aide d’un pinceau et d’un couteau à palette, acquiert une qualité rituelle et méditative. Sa répétition continue évoque un mantra, familier dans diverses cultures matérielles. En combinant ces motifs symboliques, l’artiste interroge et façonne son propre cheminement spirituel, tout en nous invitant, à travers l’exposition, à s’en inspirer pour nos propres explorations intérieures.
‘I was thinking about this idea of warmth, the idea of vulnerability, and how one begins the process of illustrating the soul.’—Rashid Johnson
La structure des peintures de Johnson traduit son intérêt pour la multiplicité, la répétition et la stratification, ainsi que pour la ligne, en recourant à des techniques comme « l’Alla prima » pour créer une myriade d’intersections et de significations. À d’autres moments, l’artiste laisse la peinture sécher avant de poursuivre, introduisant un moment de pause et de réflexion nécessaire, lui permettant de recueillir son énergie avant de la retranscrire sous forme de « mark-making ». Comme il l’explique : « j’ai toujours été fasciné par l’exposition multiple, par la manière dont une image se forme, puis comment une autre vient se greffer à sa surface ». Ce processus de superposition peut être perçu de différentes façons : comme un collage, une connexion, ou même une collision.
Dans les peintures exposées, Johnson adopte une palette chromatique composée de rouges et de bleus profonds, associés à de nouvelles nuances de blanc cassé crémeux et de brun terreux. L’artiste ajuste subtilement sa palette neutre, notamment dans des oeuvres telles que « Soul Painting “Nobody” » (2024) et « Soul Painting “I Feel For You” » (2024). En procédant ainsi, il assimile la couleur à l’idée de collectivisation, où de petites variations peuvent distinguer les oeuvres d’un point de vue idéologique, tout en conservant de nombreuses caractéristiques communes. Johnson poursuit son exploration du pouvoir narratif des matériaux qu’il choisit, comme le beurre de karité et le savon noir, soulignant la richesse de leur histoire. Dans cet ensemble, il se tourne vers la peinture à l’huile, un médium classique et universellement reconnaissable, qu’il utilise pour revisiter des préoccupations artistiques historiques partagées par nombre d’artistes à travers les époques.
Une sélection de nouvelles sculptures en bronze présente une série d’objets symboliques, tels que des coquillages, enfouis dans l’argile grossièrement modelée à partir de laquelle ils ont été coulés. Dans le groupe de sculptures « Standing Soul Sculpture », Johnson s’est servi de fils de fer lors du moulage, créant l’illusion d’un travail à main levée, recherchant une liberté gestuelle comparable à son usage de la ligne dans ses peintures. Une autre série de sculptures en bronze, en forme de chaises disposées en cercle, tournées vers l’intérieur, évoque une réunion de groupe intimiste. Johnson recourt fréquemment à des objets familiers dans ses oeuvres composites, un processus qu’il qualifie de « hijacking the domestic » [détournement du domestique], visant à convoquer des réminiscences d’expériences partagées. Les oeuvres de l’exposition « Anima », qui questionnent à la fois l’âme et l’histoire collective, apparaissent résolument personnelles et vulnérables, tout en restant universelles et symboliquement fécondes.
Empreinte carbone réduite
Une partie des oeuvres présentées dans cette exposition a été transportée par voie maritime depuis les États- Unis. Ce mode de transport, comparé au transport aérien, a permis de réaliser une économie de 35,66 tonnes de CO2. Cela correspond à 22 vols aller-retour entre New York et Paris.
La galerie est ouverte du mardi au samedi, de 10 h à 18 h, avec des heures d'ouverture spéciales pendant Art Basel Paris.
Entrée libre sans réservation. Veuillez consulter notre site web de la galerie à Paris pour préparer votre visite.
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